A l'occasion du Festival du Film d'Histoire de Pessac, la documentaliste de la Benatte a eu l'occasion de participer à un stage sur le thème "Cinéma, télévision et pouvoir : filmer le réel". Voici le compte-rendu de l'intervention de Michel Mompontet, réalisateur de l'émission "Mon Oeil", diffusée sur France2 les samedis à 13h15.
Bref historique
Le crêneau horaire occupé par Michel Mompontet, directement à la suite du Journal télévisé de 13h, était auparavant occupé par le micro-trottoir de Rachid Arab. Celui-ci ayant été nommé au CSA, la chaîne lui a donné carte blanche pour réaliser « quelque chose qui n'existe pas, sans contrainte ni directive d'aucune sorte, sans contrôle ni censure. Conditions qui lui ont permis de créer un « objet télévisuel » neuf dont il développe le potentiel depuis maintenant 5 ans et qui est suivi par quatre millions de téléspectateurs, sur une tranche horaire pourtant réputée de faible audience.
Le principe
« Mon oeil » traite de l'actualité de manière critique et humoristique, à partir d'un montage d'images d'archive. Le commentaire est rédigé a posteriori, une fois ce montage complètement terminé, quelques heures seulement avant la diffusion. La démarche de Michel Mompontet prend donc le contrepied de celle du journal télévisé classique, très formaté, où la rédaction du texte précède la prise d'images, des images d'illustration qui servent seulement, selon les termes de Michel Mompontet, « à prouver que le journaliste a raison. », à faire de la « radio illustrée ».
Traiter l'actualité autrement
La recherche de démarches innovantes en matière de traitement de l'actualité semble pourtant indispensable, tant le public a changé : les spectateurs tournent eux-mêmes des vidéos, savent utiliser des logiciels de montage, transformer des images. Ils connaissent bien mieux qu'autrefois les ressorts de la communication audiovisuelle. Alors que le format du JT, lui, n'a pas changé en 30 ans : des sujets de 1'45'', deux sonores par sujet, la petite phrase de conclusion prononcée invariablement sur le même ton,... Les journalistes du JT reproduisent inlassablement les mêmes formes, dans un fort climat d'autocensure et de conformisme intellectuel, dit Mompontet. Sortis des mêmes écoles, du même milieu social, ils tendent à fabriquer une uniformisation du traitement médiatique de l'actualité.
La question de l'audience
De manière générale, il déplore la course à l'audience grandissante des chaînes, qui pèse désormais sur le journal télévisé et lui fait adopter peu à peu le mode de réalisation du show. On gère la durée et l'ordre des informations non plus en fonction de leur importance, mais en fonction du flux des téléspectateurs. Le journal télévisé de France2 par exemple est désormais coupé en deux par un « teasing » destiné au spectateur susceptible de quitter la chaîne pour aller vers la très populaire série « Plus belle la vie » de France3. La construction du journal est ainsi basée sur la gestion de ces « carrefours d'audience », ces moments où un nombre important de spectateurs est susceptible d'arriver sur l'émission, ou d'en partir.
Sources et références
C'est en puisant dans les archives de l'INA et dans les productions documentaires et engagées de réalisateurs comme Dziga Vertov, Artavazd Pelechian, Santiago Alvarez,... que Mompontet trouve ou retrouve des formes d'expression différentes et plus efficaces. « Je n'ai rien inventé, dit Mompontet en substance, j'ai juste puisé dans un fonds malheureusement inconnu des journalistes, parce que leur formation ne prévoit pas d'histoire du film documentaire. »
Un art du montage
L'art de Mompontet se situe dans le choix des images et dans le montage. En matière d'artiste, il se situerait parmi les « colleurs ». « Mon oeil » construit ses effets sur le choc des images, sur leur confrontation, il travaille l'ordre de leur succession, les effets d'analogie, d'association. Un joueur de pipeau placé juste après l'annonce que des millardaires français demanderaient à être davantage taxés, par exemple.
Confrontation des images, mais surtout « dissociation radicale » entre l'image et la bande son, qui prend le sens de l'image à revers, crée une « fracture » ironique, sarcastique, qui incite le spectateur à mettre en doute ce qui est vu, pour mieux mettre en doute ce qui a été vu pendant la semaine, dans l'information officielle donnée dans des journaux télévisés prétendument objectifs. « Mon oeil » est un exercice renouvelé de distance critique par rapport à l'image présentée comme preuve. Il assume la subjectivité d'un regard sur l'actualité et crée l'espace d'un esprit critique entre ce qu'il montre et le spectateur.
La relation au téléspectateur
Comme tout satiriste, la démarche de Mompontet repose sur un lien de confiance et de respect, une complicité établie avec le spectateur. Il déplore le fait que les directeurs de programmation tablent sur la supposée paresse intellectuelle du spectateur au lieu de parier sur sa sagacité et son acuité. L'expérience de la chaîne HBO est de ce point de vue une preuve par l'exemple, dit-il : elle a créé pour son public exigeant, cultivé, urbain, diplômé, la série « Les Sopranos », qui a remporté un grand succès populaire dans le monde entier. « Je ne me limite pas dans « Mon oeil », je me pose pas la question de la réception. » « Si les spectateurs comprennent un effet, tant mieux, sinon tant pis ! » « Mais j'ai foi en ceux qui regardent. », déclare Mompontet et la forte audience de son émission (en cinq ans il est passé de 200 000 spectateurs à 4 millions) semble lui donner raison.
Une démarche artistique, critique et citoyenne, donc, qui devrait prendre fin en 2012, au terme d'une année électorale qui fera figure d'apothéose dans le parcours de « Mon oeil ».